Par Jacques DANIEL | Administrateur du Think Tank Fraternité | Président du Collectif France pour l'Appui à la Demande

« J’ai envie d’avoir un appartement, un boulot, une copine » *(1)

Situation de handicap, d’exclusion, personnes âgées, relevant de la protection de l’enfance, etc.

Les personnes en situation de fragilité et leurs aidants méritent de pouvoir exercer leurs choix, leurs droits, au sein d’une société accessible. Pour cela, il est nécessaire de faire évoluer le modèle d’accompagnement et de soin basé sur l’offre, encore prédominant dans les secteurs social, médico-social et sanitaire. Il est temps d’entendre sans la détourner la parole de ces citoyens et de changer de raisonnement.

Passer à une approche basée sur la demande

Cette logique soutient l’émergence des attentes des personnes en situation de fragilité, ce qu’elles veulent faire, qui elles veulent être, et celles de leurs aidants. Elles peuvent ainsi concevoir un projet de vie *(2) formulant leurs aspirations et leurs objectifs. Les réponses seront alors construites en fonction de la situation et des besoins qui découlent de ce projet. Les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs énoncés sont d’abord recherchés à proximité dans la société (école, entreprise, logement, etc) puis dans le secteur spécialisé. Les personnes concernées renforcent ainsi progressivement leurs capacités à dire, à décider et à agir. Elles concrétisent leurs droits en redevenant maîtres de leurs choix, de leur projet et de leur parcours.

Fonder l’accompagnement sur ce principe de libre choix, c’est également apporter une réelle valeur ajoutée à l’ensemble des acteurs impliqués. Cette posture donne un nouveau sens à la pratique des professionnels et renforce l’attractivité de leurs métiers. C’est essentiel. Les organismes gestionnaires repensent leur action sous ce prisme, donc leurs projets. Cette révision nécessaire est aussi liée à leur responsabilité sociétale (RSE). Considérer les propres demandes de ces intervenants, avec celles des personnes en situation de fragilité et des aidants, permet alors de créer un système de coopération équitable, où la légitimité et la compétence de chacun sont reconnues. La définition et la réalisation des projets de vie peuvent, de ce fait, s’appuyer sur des engagements réels et des ressources mobilisables. Dans ce basculement de l’offre vers la demande, chacun peut finalement trouver des perspectives structurantes, enthousiasmantes pour bâtir ensemble des solutions concrètes et pertinentes. Il devient possible d’organiser une offre à la mesure des enjeux de citoyenneté et d’accessibilité. La construction de services basés sur la demande ne serait-elle pas, de surcroît, utile à ceux dont la situation de fragilité n’est pas classifiée ?

Transcender la logique de l’offre

Depuis 70 ans, l’offre d’accompagnement et de soin s’est construite sur l’hypothèse que les personnes en situation de fragilité avaient des besoins spécifiques, liés à leurs incapacités, en particulier celui d’être protégées. Et de fait, elles étaient peu reconnues dans leurs capacités, leur citoyenneté. Choisissant d’organiser cette « place protectrice » par catégories de besoins, l’administration s’est appuyée sur des spécialistes pour développer des méthodes d’évaluation des déficiences. Les établissements médico-sociaux se sont constitués en créant des solutions collectives prévues pour répondre à des catégories de besoins évalués par des experts. Cette nouvelle offre représentait alors une solution adaptée pour les familles et entourages et constituait un réel progrès.

Ce système est resté cloisonné et la réglementation permet peu de transversalité et d’agilité ; elle propose peu d’ouverture sur le droit commun et d’accessibilité de l’environnement. Pensant viser leur intérêt en toute bienveillance, les compétences des personnes en situation de fragilité sont encore rarement prises en compte. Leurs aspirations sont filtrées voire modifiées, les projets de vie peu formalisés. Les réponses apportées correspondent trop souvent à l’offre existante, où faire valoir son pouvoir de dire et d’agir n’est pas aisé. Au final, cette approche protectrice peut conduire à nier l’identité, les droits et les projets de ces citoyens, ce qui n’est pas conforme à la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées, ratifiée par la France.

Les politiques publiques actuelles appellent à développer les logiques inclusives, les réponses de proximité, les actions partenariales. Elles conduisent l’Etat, en lien avec les collectivités, à réviser les priorités de santé publique et l’organisation dans les territoires.

Changer de paradigme suppose de nombreuses transformations : politiques publiques, projets associatifs, gouvernances et ressources humaines, organisations, évolution structurelle des établissements en plateformes et services, pratiques professionnelles. Identifier et prioriser les actions pour conduire ce changement s’avère complexe.

Des changements de paradigme opérants

Depuis 2015, des dispositifs d’appui à l’autodétermination s’attachent à inverser le paradigme des secteurs social, médico-social et sanitaire en passant de la logique de l’offre à la logique de la demande. Plus de soixante-dix partenaires, dotés d’une solide expertise sur les sujets traités et bien identifiés sur les territoires, viennent ainsi de s’engager au sein du Collectif France pour l’Appui à la Demande (C.F.A.D.). L’association soutient les personnes et les familles concernées par une situation de fragilité et plus globalement les aidants. Elle s’attache, à travers différentes missions, à ce que leur demande soit exprimée, reconnue, soutenue. Elle appuie toute dynamique permettant à un « opérateur spécialiste de la situation de fragilité » de devenir un « expert du projet piloté par la personne ». Cette expertise est développée sur l’ensemble des territoires en créant des dispositifs d’Assistance au Projet de Vie, et en structurant un métier et une nouvelle formation : l’assistant au parcours et projet de vie. Des méthodes (appuis ressource) et des outils (Mon inventaire de compétences) sont élaborés pour concrétiser ces transformations, traçant ainsi un nouveau chemin pour placer la demande au fondement des réponses apportées et parvenir à une société dite « inclusive ».

Avoir des droits n’est pas suffisant, il faut que ces droits soient effectifs pour chaque citoyen. Pour répondre à ce jeune qui disait « J’ai envie d’avoir un appartement, un boulot, une copine », affirmons que son projet est légitime et que notre premier devoir est de lui faire et de lui donner confiance.


1 [Un jeune adulte déficient intellectuel exprime l’essentiel de son projet de vie devant un Président de la République.]

2 [Le projet de vie exprime les attentes de la personne en situation de fragilité, désigne la personne et/ou ses aidants comme décisionnaire (maitre d’ouvrage), fixe les buts, les objectifs, le pilotage et l’organisation, les plans d’actions et de moyens pour le mettre en œuvre. ]

 

Jacques DANIEL | Administrateur du Think Tank Fraternité | Président du Collectif France pour l'Appui à la Demande

Le 29 juin 2022