Par CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITÉ | DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’EHESP

Impressions du lecteur

Sur la suggestion de Didier Arnal j’ai acquis et lu « Le moment Fraternité » écrit par Régis Debray et publié en 2009 chez Gallimard.

Je devrais dire lu et relu, annoté et surligné tant il contient d’éléments qui interpellent et qui au bout du compte pourraient laisser un sentiment de désespoir quant aux chances de survie de la Fraternité.
Cette tentation est renforcée par les évolutions du Monde depuis 2009 qui ne sont guère allées dans le sens d’une amélioration.

L’auteur nous fait voyager à la fois dans l’espace, les cultures et le temps pour appréhender la Fraternité sous ses différents avatars.

La Fraternité est un terme ambigu puisqu’il vise à la fois à considérer tous les humains comme des « frères » et en même temps à identifier ceux avec qui certains peuvent se sentir plus « frères » qu’avec d’autres.

Un des constats de l’ouvrage tient dans les mots suivants de Régis Debray : « ceux ou celles qui nouent entre eux des liens fraternels coupent plus ou moins ceux qui les liaient au reste du monde. Ce retranchement va par degrés, du discret au secret ».

Régis Debray note également (page 136) « la liquidation des humanités n’est pas pour rien dans le triomphe de l’humanitaire ».

En préambule du livre III intitulé « Le travail de fraternité » l’auteur indique que : « Abstraction défraîchie, quoique plus jeune que liberté et égalité, la fraternité se voit plus sur les frontons que sur les visages… Par chance, il lui reste une histoire et une géographie. Celles des micro-sociétés qui en ont fait leur vie quotidienne, et parfois leur raison d’être… ».

Plus loin dans l’ouvrage Régis Debray ajoute que : « Depuis un millénaire, les Européens n’ont acheté la valeur fraternité qu’avec des actes au service de trois missions qui les dépassaient : la chrétienté, la nation, la révolution. Trois mirages, si l’on veut, mais trois levains dans la pâte … les élans de fraternité contemporains redeviennent classiquement messianiques – sectes, mouvements charismatiques, évangélismes protestants, orthodoxies juives, confréries islamiques, et , aux Etats Unis, religieusement patriotiques. »

Pour conclure ce bref aperçu d’un ouvrage très dense, je retiendrai un dernier passage qui résume me semble-t-il bien la problématique a laquelle nous sommes confrontés pour préserver ou restaurer la Fraternité.

« Une plaisante mauvaise foi nous porte à vouloir la concorde sans le combat, le lien sans le liant, le réflexe civique sans la conscience historique, les droits sans les devoirs, l’horizontale sans verticale, et pourquoi pas, tant qu’on y est, un dedans sans un dehors … »

La Fraternité ne peut se proclamer que si, en parallèle, elle est effectivement mise en œuvre au sein du collectif national, faute de quoi ceux de nos concitoyens qui se considéreront comme tenus à l’écart de corps social qui s’abrite sous le triptyque « Liberté, Egalité. Fraternité » iront rechercher des Fraternités sélectives.

CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITÉ | DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’EHESP

Le 30 octobre 2023