Par DR. OLIVIER ROBERT | Médecin du Personnel des Hospices Civils de Lyon | Expert près la Cour d’Appel de Lyon | Enseignant à l’Université Claude Bernard (Lyon 1) | Diplômé en neurologie, médecine légale, et médecine du travail

Trump a une approche pragmatique de sa politique au nom d’un nationalisme exacerbé : le slogan « America First » est au cœur de sa stratégie, et il a constamment cherché à placer les intérêts des États-Unis au-dessus de ceux des autres nations.

Trump se concentre sur l’obtention de résultats immédiats pour les États-Unis plutôt que sur le respect de principes ou de résultats sur le long terme. Sa vision de la politique étrangère est strictement autocentrée : il se concentre sur ce qui lui semble « bon pour l’Amérique » à court terme, sans tenir compte des normes, du droit ni des accords internationaux.

En théorie de la communication, il existe au moins cinq typologies de stratégies pour obtenir quelque chose d’autrui contre son gré ou malgré ses éventuelles réticences :

  • La persuasion/conviction
  • La négociation
  • La séduction
  • La coercivité
  • La manipulation

Trump a clairement tourné le dos aux deux premières stratégies, qui sont inhérentes au principe d’assertivité qu’il exècre, car synonyme de débat ouvert, respectueux et symétrique, d’absence a priori de « winner/loser », mais potentiellement génératrice d’immobilisme.

La séduction (de sa base électorale, des extrêmes droites mondiales et des entreprises les plus riches de la planète) est pour l’instant un succès indéniable.

La coercivité (décisions commerciales unilatérales au mépris des accords commerciaux préexistants, désengagement ou rejet des instances mondiales [ONU, OMS, Accords de Paris, CPI], menace de prise de possession -au besoin par la force- du Groenland, du canal de Panama, du Canada, de Gaza, fermeture de l’USAID, piratage des données fédérales par les hackers du DOGE) a été mise en œuvre dès les premiers jours de son investiture.

Les techniques de manipulation, utilisées dès son premier mandat, ont permis sa réélection confortable :

  • Technique de la requête exorbitante initiale, quitte à démentir ou atténuer la portée de la requête dans un second temps.
  • Affirmation du tout puis son contraire pour habituer à d’éventuels revirements, susciter l’indécision dans la compréhension, donc générer le statu quo et l’immobilisme chez les adversaires et les partenaires, et empêcher une riposte rapide et concertée (cf. ce qui se passe actuellement à Bruxelles).
  • Désinformation « à la russe » depuis la victoire de Biden sur tous les sujets de société.
  • Provoquer le clivage en déclenchant la polémique : utiliser l’imprécation, l’insulte et la menace pour déstabiliser, sidérer : on est dans une logique du « diviser pour mieux régner ».
  • Utiliser une rhétorique populiste simple, violente, parfois vulgaire mais compréhensible par tous, reprenant les slogans de la rue, auquel John Doe peut s’identifier facilement et qui se démarque du langage des élites ; franchir les lignes rouges du parler responsable et politiquement correct (comme l’ont fait avant lui avec un certain succès initial Robespierre, Babeuf, Hitler, Mussolini, Franco, Mao, …)
  • Invoquer sa victimisation : Il se décrit fréquemment comme une victime des « fake news » ou des « attaques injustes » des médias, et cette posture joue un rôle crucial dans sa stratégie de communication.
  • Abolir la distance Président/Peuple, décrédibiliser l’Etat fédéral, et faire croire au peuple qu’il est codécideur de la nouvelle politique américaine.
  • Flatter le narcissisme collectif, et définir comme premier critère de bonheur chez le citoyen US la fierté et le privilège d’être américain.
  • Ne pas hésiter à mentir, instiller le doute…C’est banalisé aux USA et « il en restera toujours quelque chose… »
  • Réitérer ses antiennes : le droit et la justice (pénale, judiciaire, internationale) sont aux mains de corrompus : énoncer des énormités (« Les procureurs qui ont requis contre moi méritent la prison à vie », « les immigrants clandestins sont des criminels pédophiles et mangent vos animaux de compagnie ») et les justifier par le fait que toutes les poursuites contre lui ont été arrêtées, « donc » étaient a posteriori infondées. Dire que l’élection de 2020 lui avait été volée et le « prouver » en remportant largement celle de 2024 : c’est l’utilisation itérative du biais de croyance : le jugement sur la logique d’un argument est biaisé par la croyance en la vérité ou la fausseté de la conclusion. Ainsi, les erreurs de logique sont ignorées si les conclusions s’inscrivent dans la croyance. Maintenir contre l’évidence certaines croyances (l’élection de 2020 a été volée par les démocrates, l’Etat Fédéral gaspille l’argent des contribuables, tous les non-américains de souche sont des criminels en puissance, les médias traditionnels sont aux mains de gauchistes pédophiles, les universités -Yale, Columbia, Princeton, Berkeley…- sont des nids d’anarchistes pro-islamiques) est une nécessité stratégique, car on sait que lorsqu’une croyance est menacée, le recours à des arguments non vérifiables augmente. Le principe même de cette désinformation mise sur la puissance et l’attachement aux croyances (théorie de l’adhésion de Palo Alto). L’utilisation exclusive par le pouvoir trumpiste des réseaux sociaux permet de marteler des contre-vérités en s’affranchissant du regard plus factuel et objectif des médias traditionnels (traditionnellement : Washington Post, New York Times)

Ce biais de croyance est indissociable des biais de confirmation : ne prendre en considération que les informations qui confirment les croyances et discréditer ceux qui les contredisent.

D’autres biais cognitifs sont souvent utilisés dans la rhétorique trumpiste :

Biais de cadrage : c’est-à-dire la tendance à être influencé par la manière dont le problème est présenté : « Gaza deviendra une nouvelle Riviera » est une idée bien plus simple, originale et réceptive chez l’américain moyen et chez tout citoyen du monde qui ne se sent pas directement concerné par la cause palestinienne que « Comment, qui, pour qui et avec quel argent reconstruire Gaza ? Comment accéder au rétablissement d’une entité palestinienne autonome et responsable tout en préservant la sécurité d’Israël ?»

Biais d’ancrage : On se réfère inconsciemment au premier élément d’information acquis sur un sujet. Dès lors que Trump a dit -dès son discours d’investiture- qu’il allait envahir-par la force au besoin- le Groenland, il installe un effet de sidération proportionnel à l’énormité de l’affirmation. Les annonces qui vont suivre, tout aussi violentes et bafouant le droit international, en paraîtront pour autant moins spectaculaires et révoltantes.

La comparaison avec Machiavel m’apparaît assez justifiée.

La mouvance trumpiste prône la virtù recommandée au Prince, par opposition à la vertu. Virtù est ce concept difficilement traduisible qui recouvre la capacité pour un homme politique d’être un homme (vir) capable de sauvegarder l’Etat, de réaliser de grandes choses, capable de s’adapter à la situation présente et de passer du bien au mal si les circonstances politiques et géostratégiques lui apparaissent devoir l’imposer. C’est la capacité de déterminer « l’art de l’instant favorable, de l’occasion propice » (le kairos des grecs). C’est encore, (selon Luciani), la capacité, l’habileté, la puissance individuelle, le flair pour les occasions et la mesure de ses propres capacités.

Le Prince loue les innovateurs en stratégie politique, au détriment des gestionnaires du statu quo ou des héritiers des dynasties.

Le recours à la force y est justifié (« usage méthodique et économique de la violence ») et si Trump pense que la situation l’exige, son seul point de vue comptera à l’instant de la décision.

Vaincre ou être vaincu. Binarité chère à Trump (Bien/mal ; légal/illégal, bon américain/criminel ou incompétent).

Un psychiatre pourrait y discerner une personnalité histrionique, sensitive, une immaturité de type puéril, avec exigence d’immédiateté, intolérance à la frustration et sentiment de toute puissance.

Mais ce serait résumer la stratégie de Trump à ses seules décisions et provocations personnelles, alors qu’il faut à l’évidence les intégrer dans une réflexion cohérente issue d’une synergie d’intérêts convergents : énergies fossiles, High Tech, course à l’IA, courants du narcissisme identitaire américain, mise en place d’une ploutocratie portée au pouvoir par une base populiste.

Giuliano da Empoli, écrivain et conseiller politique dans son livre « Les ingénieurs du chaos » (2019 Jean Claude Lattès collection Folio) décrit les mécanismes qui ont permis à différents leaders populistes de prendre le pouvoir et cite notamment l’exemple de Donald Trump.

Il insiste sur les « Spin Doctor » qui dans l’ombre ont permis à ces leaders populistes de vaincre. Dans la postface ajoutée en 2023 il écrit notamment : « Contrairement à leurs promesses, l’avènement du numérique et des Big Data ne nous a pas livré un monde plus rationnel et prévisible, mais bien son exact contraire. Un monde chaotique, ni plus ni moins que ce qu’il a toujours été… ».

Les saillies de Trump ne sont que le moyen de communication populiste d’une stratégie politique décidée depuis le début de sa première présidence par des conseillers dont on a mésestimé le pouvoir, le niveau de préparation et les intentions.

Il est peu probable que le nom de Bismarck soit connu du président américain. Et pourtant, il disait déjà il y a 150 ans « La diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments ».

Et, en réponse à un ambassadeur anglais : « Who is Europe  ? ».

https://www.philomag.com/articles/trump-la-strategie-de-la-sideration

 

Le Dr. Olivier Robert a notamment publié « Plaisir et souffrance au travail : comment concilier la recherche de productivité et le bien-être du personnel » – Cercle de l’Union. Lyon. 27/11/2017

DR. OLIVIER ROBERT | Médecin du Personnel des Hospices Civils de Lyon | Expert près la Cour d’Appel de Lyon | Enseignant à l’Université Claude Bernard (Lyon 1) | Diplômé en neurologie, médecine légale, et médecine du travail

Le 12 février 2025