Par CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE |DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
Mes récentes lectures ont porté sur des sujets apparemment très éloignés les uns des autres. En effet quel rapport entre l’ouvrage d’Eric H. Cline historien et archéologue « La survie des civilisations … après 1177 av. J.C. » qui se penche sur l’effondrement presque simultané des civilisations de la Méditerranée orientale il y a 3000 ans dans un contexte marqué par un réchauffement climatique, celui d’Olivier Hamant chercheur et enseignant à l’INRAE et à l’Ecole normale supérieure de Lyon intitulé «De l’Incohérence Philosophie politique de la robustesse » qui traite des bouleversements contemporains et des moyens d’y faire face et notamment de la transition écologique et enfin celui d’Olivier Postel Vinay journaliste et écrivain intitulé « Homo Cretinus le triomphe de la bêtise » qui tente de cerner la bêtise insaisissable, protéiforme mais bien présente dans nos civilisations.
Et pourtant le premier ouvrage évoque notamment la capacité variable des différentes civilisations à la fin de l’âge du bronze à survivre à des catastrophes climatiques, sociales et à des invasions. Son auteur définit un certain nombre termes dont celui d’«antifragilité » pour une civilisation. « Etat d’une société qui ne se contente pas d’être résiliente ou robuste mais qui arrive à prospérer dans les situations de stress, en en tirant parti non seulement pour survivre, mais aussi pour progresser ».
Il cite comme exemple de civilisation « antifragile » les Cananéens de la région centrale (Tyr, Sidon, Byblos, Arwad …) qui se transforment en Phéniciens qui commencent alors à prendre le contrôle des routes commerciales maritimes. A contrario il cite les Hittites dont la civilisation a disparu.
Il est intéressant de voir qu’il emploie les mêmes termes qu’Olivier Hamant qui évoque la robustesse et non la performance comme gage d’adaptation des sociétés à des bouleversements notamment climatiques.
Eric H. Cline écrit à propos de notre civilisation mondialisée que « si elle venait à s’effondrer, la manière dont nous affronterons cet effondrement dépendra à la fois de son ampleur et de notre degré de préparation », il cite le rapport du GIEC rédigé en 2012 qui concluait : « La probabilité de l’occurrence d’une concaténation d’impacts d’évènements extrêmes à l’échelle de la planète ne cesse de croître à mesure que l’économie mondiale devient de plus en plus interconnectée ».
Il ajoute que « nous devons être suffisamment résilients pour pouvoir résister à tous les chocs possibles, suffisamment autonomes pour survivre même si quand nos partenaires commerciaux disparaissent, suffisamment innovants pour nous adapter ou nous transformer si nécessaire et suffisamment forts pour résister aux invasions ou aux attaques ennemies même lorsque nous sommes déjà affaiblis par la crise ».
Rebondirons-nous comme les Phéniciens ou disparaîtrons-nous comme les Mycéniens ?
Pour revenir sur l’interconnexion de notre civilisation nous la retrouvons au cœur des ouvrages d’Olivier Hamant et d’Olivier Postel Vinay comme un facteur plutôt de fragilité car la société numérique nous expose à de l’information permanente qui pour une bonne part est en fait de la propagande ou de la profession de foi.
Il est à craindre que cette dépendance aux informations en ligne ne nous démobilise ou nous égare alors que la lucidité est plus que jamais nécessaire.
C’est ce que dénoncent chacun à sa manière ces deux auteurs.
Olivier Hamant pour sa part dans un développement intitulé l’engrenage numérique écrit : « Si le numérique permet de propager des infox, il suscite aussi une forte adhésion en raison de la cohérence confortable qu’il sous-tend … Dit autrement, les réseaux sociaux génèrent de la cohérence excluante à très grande vitesse… Nous sommes en train de créer un «trou noir d’opinion » à très grande vitesse, un objet psychologique dont la densité est si grande qu’elle empêche toute idée éclairée d’émerger. Encore une fois, l’adhésion dérive vers une forme d’addiction ».
Olivier Postel Vinay qui écrit vers la fin de son ouvrage vaste panorama des diverses formes de la bêtise à travers les âges et les sociétés, dans un développement intitulé « Le sourire du zombie ».
« La dernière fois que l’idée démocratique a été sérieusement mise à mal, c’était lors de la montée des régimes fascistes dans les années 1930. Il a fallu une guerre mondiale pour réinstaurer le cycle vertueux. Actuellement le regain de la tentation autocratique est favorisé par l’avènement de la société numérique qui dope les moyens de diffusion des idées fausses et les facultés de surveillance et de contrôle des Etats ».
Il faudrait en conclure que la surabondance d’informations non vérifiées accessibles en permanence crée d’une certaine manière une forme d’ignorance par fréquentation élective de sites renforçant les tendances initiales de nombre d’entre nous aussi voire plus dangereuse que l’ignorance qui se connaît pour telle par défaut de connaissance.
Olivier Postel Vinay, à propos de la « polarisation de nos sociétés », écrit que « La généralisation des réseaux sociaux sur Internet a considérablement renforcé cette dynamique ». Ce sont des « machines à polariser » écrit Sunstein. Source de renforcement pour les communautarismes et autres dérives identitaires. En politique, la tendance à la simplification des discours observée au cours des dernières décennies et le privilège accordé aux réactions émotionnelles conduisent à une polarisation renforcée. Aux Etats-Unis (les bien-mal nommés) en 1960, 5% des parents républicains et 4% des parents démocrates disaient leur déplaisir à l’idée que leur enfant trouve un conjoint de l’autre bord ; en 2010, avant même l’aventure Trump, la proportion était passée à 49% chez les républicains et à 33% chez les démocrates ».
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Jean François Revel, dans « Comment les démocraties finissent », publié en 1983, écrivait que les démocraties auraient deux manières de disparaître soit se laisser vaincre de l’extérieur par des régimes autoritaires, soit pour se défendre de prendre des mesures qui les transformeraient de l’intérieur en régime anti-démocratique. Il semble bien que ce soit cette piste que nous explorons actuellement.
La première journée d’activité du 47ème Président des Etats Unis augure mal de l’avenir de la démocratie.
CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE |DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
Le 7 février 2025