Par CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE | DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
Comme le rappelait Le Monde Diplomatique en Novembre 2021, « De toutes les formes d’auto-justice, le lynchage est la plus tristement célèbre. La paternité de ce terme est généralement attribuée à Charles Lynch (1736-1796), un planteur de tabac de Virginie, colonel de la milice locale pendant la guerre d’Indépendance. Celui-ci s’improvise juge en 1780, afin de défendre, contre la convoitise des loyalistes, les mines de plomb indispensables à la fabrique de munitions. Soucieux de répondre dans l’urgence à un danger imminent, il rend une justice aussi sommaire qu’intransigeante.
Dans un courrier datant de 1782, le notable recourt lui-même à l’expression « loi de Lynch » pour désigner les méthodes expéditives requises contre les personnes « malintentionnées », qu’il s’agisse de traîtres ou de mineurs indisciplinés. Dans cette forme primordiale du lynchage, la pénalité à l’œuvre obéit à l’arbitraire des représentants de l’establishment plutôt qu’à un ensemble de règles et de procédures impersonnelles. (…) ».
A bien y regarder les récents évènements survenus aux USA semblent faire renaître ces « recommandations » de Charles Lynch dans la bouche du président lui-même.
Qui plus est, il n’est plus nécessaire de faire face à ces « personnes malintentionnées », il suffit d’organiser ou laisser se développer le « lynchage » en ligne. Miracle de la technologie dépourvue d’éthique, il est aujourd’hui possible de dématérialiser aussi les prises à partie par des foules d’anonymes cachées derrière leurs « pseudo » ou bien relayées par leur double virtuel.
De même que « la guerre des drones » ressemble de plus en plus à un jeu vidéo, les vrais morts en plus, le harcèlement, l’anathème et la mise à l’index peuvent ne requérir aucun déplacement physique pour agresser et détruire une personne considérée par ces « auto justiciers » comme « incorrecte » ou déviante surtout quand l’anathème est légitimé par les plus hautes autorités.
Cette actualité rend particulièrement visionnaire la thèse développée par Gérald Bronner en 2021 dans l’ouvrage intitulé « Apocalypse cognitive » dont le sous-titre « la face obscure de nos cerveaux sous l’emprise des écrans » renvoie directement au sujet du présent article.
Il écrit notamment page 153 (livre de poche) « Depuis l’avènement des réseaux sociaux, ce sont non plus seulement les acteurs du débat public mais c’est n’importe lequel d’entre nous qui, par une déclaration malheureuse, une blague pas toujours du meilleur goût ou une simple expression qui ne plait pas, peut être tenu responsable de rendre le monde plus sombre. ».
Il évoque ensuite « la fluidification de la rencontre entre l’offre et la demande » organisée par les réseaux sociaux.
Il précise qu’ « elle favorise enfin certaines expressions de nos compulsions qui peuvent nous conduire collectivement au pire… c’est à dire à dilapider notre précieux trésor attentionnel par des activités de plaisir à court terme, stériles, abrutissantes, qui font revenir sur le devant de la scène l’homme préhistorique ».
Plus récemment, interviewée par l’hebdomadaire « Marianne » le 18 septembre 2025 Asma Mhalla politologue qui vient de publier « Cyberpunk le nouveau système totalitaire » au Seuil confirme qu’elle considère que « l’alliance entre une frange techno réactionnaire et un milliardaire démagogue et autoritaire dessine l’ombre d’un (techno)fascisme du XXI siècle. ».
Gérald Bronner toujours dans l’ouvrage cité ci-dessus, infère que « puisque nos contemporains ne regardent plus l’avenir que la peur au ventre et sont parfois persuadés que le présent est une sorte d’enfer sur Terre, la détestation de la rationalité s’exprime avec force dans le débat public, portée aussi bien par des acteurs de la droite réactionnaire que par ceux d’une gauche qui ne l’est pas moins. ».
Face à ces menaces serons-nous capables de mettre en œuvre les contremesures sans lesquelles le modèle démocratique hérité du XIXème siècle pourrait devenir un chef d’œuvre en péril ?
Certes l’Union Européenne a mis en place des mesures de protection des données personnelles à travers le R.G.P.D. (règlement général de protection des données) mais les enjeux dépassent la simple exploitation des données.
Par ailleurs le plan d’action européen contre la désinformation a prévu la création d’un système d’alerte rapide (SAR), qui a vu le jour en mars 2019 avec la mise en place d’un réseau de contacts nationaux. Lorsque ceux-ci détectent une campagne de désinformation, ils peuvent immédiatement lancer l’alerte sur une plateforme numérique spécialisée qui facilite les échanges d’informations entre les États membres et l’Union.
La situation suppose, à l’instar de ce que vient de décider le gouvernement espagnol, de s’impliquer pleinement dans ces démarches de protection des citoyens exposés quotidiennement à un flot d’informations fausses ou orientées, les algorithmes employés par les grandes plateformes amplifiant le phénomène dans un but commercial aux conséquences redoutables pour nos états démocratiques.
Une attention particulière doit concerner les plus jeunes avec mise en place d’obligations de modération renforcée pour les fournisseurs de contenu et renforcement du contrôle parental.
CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE | DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
Le 29 septembre 2025