Par CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE |DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
Je viens de terminer la lecture du dernier ouvrage de Giuliano Da Empoli « L‘heure des prédateurs » dont j’avais apprécié les précédents ouvrages, « Le mage du Kremlin » et « Les ingénieurs du chaos ». Ce dernier clôture une trilogie d’analyses du monde qui vient et ce n’est pas réjouissant.
Giuliano da Empoli écrit notamment : « Si en Occident, la première moitié du XXème siècle avait enseigné aux hommes politiques les vertus de la retenue, la disparition de la dernière génération issue de la guerre a permis le retour des démiurges qui réinventent la réalité et prétendent la façonner selon leurs désirs.
Si l’ancien monde supposait des garde-fous – le respect de l’indépendance de certaines institutions, les droits de l’homme et des minorités, l’attention portée aux répercussions internationales-, tout cela n’a plus la moindre valeur ».
L’installation de régimes nationalistes et autoritaires, même dans des Etats d’Europe disposant d’institutions démocratiques, et bien sûr aux U.S.A., sont bien le signe de cette transformation.
Giuliano da Empoli évoque le retour des « borgiens » c’est à dire des héritiers des Borgia, il écrit notamment :
« Les borgiens sont des organismes particulièrement adaptés aux phases de turbulence, dans lesquelles un système politique est confronté à sa propre finitude et où les réponses à l’incertitude comme au danger ne se trouvent que dans la rapidité et dans la force. L’heure des prédateurs n’est, au fond, qu’un retour à la normale. L’anomalie ayant plutôt été la courte période pendant laquelle on a pensé pouvoir brider la quête sanglante du pouvoir par un système de règles ».
Quant aux pratiques du monde des affaires il ajoute plus loin que :
« Jusqu’ici, les élites économiques, les acteurs de la finance, les entrepreneurs et les dirigeants des grandes entreprises se sont appuyés sur une classe politique de technocrates- ou d’aspirants technocrates- de droite et de gauche, modérés, ennuyeux, plus ou moins indifférenciés, qui gouvernaient leur pays sur la base des principes de la démocratie libérale, selon les règles du marché, parfois tempérées par des considérations sociales.
C’était le consensus de Davos. Un endroit où les pistes bleues, gentiment balisées par les chasse-neiges, avaient remplacé les convulsions démesurées de La Montagne magique ».
Jadis le pouvoir des « puissants » reposait également sur l’ignorance et la superstition qui conduisait « le peuple », la plèbe auraient dit les romains, à adorer des idoles pour se prémunir des coups du sort et bien sûr à faire allégeance à ceux qui se déclaraient bénis des dieux.
Paradoxalement le trop plein d’informations, caractéristique d’internet, renforcé par la montée en puissance de l’intelligence artificielle, semble aboutir au même résultat que l’ignorance originelle, le coût astronomique de l’énergie consommée par les « Data Center » en plus.
A cet égard en pleine soi-disant transition écologique, les prêtres de cette nouvelle religion stigmatisent le citoyen moyen qui roule au gasoil et qui est prié d’acheter un véhicule électrique fabriqué en Chine dont le bilan carbone laisse pourtant à désirer, mais quasiment personne n’évoque les énormes consommations d’électricité rarement décarbonée des nouveaux ogres de l’I.A.
Giuliano Da Empoli à propos de l’I.A. écrit, citant Henry Kissinger :
« l’I.A. surgit comme une technologie borgienne, dont le pouvoir repose sur sa capacité à produire de la sidération…Comme les borgiens, l’I.A.ne s’embarrasse ni de règles ni de procédures ».
Au terme de son ouvrage il conclut que :
« Aujourd’hui, nous possédons de plus en plus d’informations et sommes de moins en moins capables de prédire l’avenir. Nos ancêtres vivaient dans des sociétés beaucoup plus pauvres en données mais ils pouvaient faire des plans pour eux-mêmes et pour leurs descendants. Nous avons de moins en moins idée du monde dans lequel nous nous réveillerons demain matin ».
J’ai pu constater les effets délétères des informations fausses qui circulent en abondance sur internet sur des proches éduqués, que je considère comme capables de raisonnements logiques et qui pourtant relaient des « fake news » sans aucune approche critique.
Au terme de cette lecture il m’est revenu en mémoire un texte d’Etienne de La Boétie dans le « Discours de la servitude volontaire » écrit au 16ème siècle et d’une actualité inquiétante :
« Il n’est pas croyable comme le peuple, dès lors qu’il est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la franchise, qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir ; servant si franchement et tant volontiers, qu’on dirait, à le voir, qu’il a non pas perdu sa liberté, mais gagné sa servitude».
CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE |DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
Le 26 mai 2025