Par CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE |DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
A ouvrir son journal, à activer son téléphone portable ou bien à allumer son téléviseur on risque chaque jour d’accroître le sentiment de désespoir face aux comportements de l’espèce humaine.
Pour ne pas déprimer j’ai tenté d’y voir clair entre l’innée et l’acquis dans la façon dont nos semblables et nous-mêmes nous comportons.
Par-delà la célèbre formule de Thomas Hobbes : « L’homme est un loup pour l’homme » qui dans la suite du développement de sa pensée justifiait la nécessité d’un Etat pour réguler les comportements instinctifs, bien des auteurs à diverses époques ont accrédité l’idée que l’homme conservait de sa « sauvagerie primitive » des instincts qui le conduisaient à agresser ses semblables.
Cette thèse fut aussi fort commode à la période coloniale pour justifier le droit des « civilisés » à asservir les « sauvages ». Les religions n’ont fait guère mieux.
Pour tenter d’y voir plus clair j’ai eu la chance en parcourant les rayons de la bibliothèque d’un proche de trouver un ouvrage intitulé « Préhistoire de la violence et de la guerre » de Marylène Patou-Mathis docteur en Préhistoire, directrice de recherche au CNRS et vice-présidente du Conseil scientifique du Muséum national d’histoire naturelle. Cet ouvrage a été publié aux éditions Odile Jacob en 2013.
Elle bat en brèche les théories relatives à la violence primitive innée et démontre que les premiers temps de l’humanité, celle des chasseurs cueilleurs, ne connaissait nullement la violence telle que l’a développée la civilisation du néolithique.
A partir des travaux réalisés sur les dépouilles des humains à travers les âges elle considère que ce qui a très tôt caractérisé les comportements des « humains » a plutôt été l’empathie et l’altruisme et que c’est seulement avec la mise en place des civilisations sédentaires, de la hiérarchisation de la société et l’accroissement démographique que la violence et la guerre sont apparues.
Une étude publiée récemment dans la revue scientifique Antiquity évoque « le massacre d’une partie substantielle d’une communauté » à l’âge de bronze dans l’actuelle Angleterre.
Les os retrouvés dans une fosse de 15 m de profondeur appartiennent en effet à 37 personnes différentes, des hommes, des femmes et des enfants. Des traces relevées sur les ossements et étudiées par les chercheurs montrent qu’après leur mort, les victimes ont été démembrées, découpées et en partie mangées. Des traces de molaires humaines ont en effet été découvertes sur les restes humains, notamment au niveau des pieds et des mains.
Les chercheurs ont estimé que les massacres pourraient avoir été perpétrés pour terrifier et intimider la population afin d’assurer l’autorité de leurs auteurs. « Quel que soit le responsable, c’est quelqu’un qui a inspiré de la crainte et dont le geste est resté dans les mémoires à travers le temps dans cette région, pendant des générations », a analysé Rick Schulting.
Marylène Patou-Mathi fait la distinction entre la pulsion d’agressivité qui est un réflexe de survie qui peut pousser un individu acculé, soit à fuir soit à s’opposer pour sauver sa vie, et la violence qui est une action volontaire.
Au terme des 170 pages de développement de sa thèse qui se lisent aisément, elle nous livre « quelques réflexions conclusives » dont je vais m’efforcer de restituer la teneur.
Après avoir cité Alain : « L’égoïsme est un fruit de la civilisation non de la sauvagerie ; et l’altruisme aussi son correctif ; mais l’un et l’autre sont plutôt des mots que des êtres », elle rappelle que « sous couvert des sciences anthropologiques, certains théoriciens ont utilisé cette image populaire d’un passé violent et guerrier pour justifier des ambitions individuelles, nationales ou des haines politiques. Or il est vrai que de tout temps des Hommes ont tué d’autres hommes pour des motivations diverses, comme nous l’avons vu, ces actes de violence sont rares dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs paléolithiques. L’Homme n’est donc pas le descendant d’un « singe tueur », la violence n’est pas inscrite dans ses gènes » elle ajoute : « La violence, liée aux structures économiques, sociales, politiques et religieuses des sociétés, est souvent un symptôme, notamment des injustices et non une cause. Quant à la guerre, apparue tardivement dans l’histoire de l’humanité et à des dates très différentes, selon les régions, une fois institutionnalisée, elle s’est répandue sur tous les continents. »
A propos du nazisme elle cite Primo Lévi qui voyait dans les tortionnaires nazis non pas des monstres mais des êtres ordinaires mal éduqués et George Steiner qui écrivit « On chante du Schubert le soir et on torture le matin. »
La chute du régime syrien et les découvertes qui en ont découlé viennent encore d’illustrer jusqu’à la nausée ce paradoxe.
Et pour en revenir au pauvre loup de la citation du début il semble bien que son agressivité soit plus limitée que la cruauté dont nous sommes capables de faire preuve vis-à-vis de nos semblables après que nous les avons « déshumanisés » en pointant leurs différences culturelles, ethniques ou religieuses qui en font des êtres humains de second ordre, peut-être des représentants de ces « sauvages » qu’il fallait aux siècles précédents « humaniser » en les asservissant ou bien éliminer avant qu’ils ne nous contaminent.
CHRISTIAN QUEYROUX | ADMINISTRATEUR DU THINK TANK FRATERNITE |DIRECTEUR D'HÔPITAL HONORAIRE | ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DE L'EHESP
Le 16 décembre 2024